LE COURRIER / 3.09.2011
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Anne
Pitteloud La vie malgré
tout
SAMEDI
03 SEPTEMBRE 2011 «Simplement
évident»: le slogan choisi par la firme automobile tchèque définit
parfaitement le geste de Stjepan, qui fonde Skoda, le septième roman d’Olivier Sillig. Unique
survivant d’un raid aérien, le jeune soldat se retrouve perdu en rase
campagne dans une contrée qu’on imagine dans l’ex-Yougoslavie.
Plus loin, les occupants d’une petite voiture ont eux aussi été pris
pour cible. Seul un bébé a survécu. Stjepan recueille le nourrisson,
qu’il prénomme Skoda en référence à la voiture, et se sent dès lors
investi d’une responsabilité et d’un pouvoir écrasants. Skoda est
le récit de sa fuite, entre marches interminables pour tromper la faim du
petit et rencontres que le hasard met sur sa route. Il y a ce douanier qui
lui apprend, après avoir abusé de lui, comment on coupe le lait pour nourrir
un bébé; il y a cette famille désertée par les hommes pour laquelle il
travaille quelques jours, oasis paisible et sensuelle dans l’enfer du
conflit, bientôt rattrapée par la violence. L’intrigue est simple,
presque archétypale. Et pour dire l’horreur, l’écriture de Sillig
reste descriptive, presque blanche: une position d’observateur dont
l’apparente neutralité cache une angoisse perceptible en arrière-plan
comme une basse sourde et douloureuse. Cette extrême sobriété du style
reflète aussi l’urgence qui habite son personnage – rien
d’inutile ici, aucune fioriture: survivre exige de se concentrer sur
l’essentiel. Artiste peintre, scénariste, réalisateur et romancier
lausannois, Olivier Sillig signe avec Skoda
une ode à la vie qui va, malgré tout. A l’absurdité de la guerre et de
la mort, aux relations qui déshumanisent, dictées par la peur et
l’opportunisme, Stjepan oppose son geste gratuit, généreux, irraisonné
et d’une confiance absolue. Le soldat protégera et nourrira sa «petite
hirondelle» comme un pur acte d’amour dans le chaos de la guerre. Quand
il était enfant, un froid soudain avait empêché les hirondelles de migrer,
trop faibles pour s’envoler. Encouragé par le ministère de
l’Education nationale, un grand mouvement de solidarité avait conduit
les enfants à ramasser les oiseaux à terre pour les mettre dans des boîtes en
carton, afin de les envoyer en Afrique par avion. Propagande? Le petit
Stjepan avait voulu y croire – «il y en aurait au moins quelques-unes
de sauvées grâce à eux». La foi est un choix; celle dans le bonheur et
l’amour aussi.
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V: 19.04.2014 (19.04.2013)