Auteur | Olivier Sillig |
Genre | Pièce radiophonique |
les rôles | Yvan, voyageur spatial |
Virginie, ordinateur portable et bavard | |
Paul, ordinateur de bord, moins loquace | |
Le capitaine des Orques | |
Le sergent Orque | |
L'Orque artilleur et quelques Orques | |
Durée | 50 - 60 minutes |
Disponible en création | |
info@oliviersillig.ch |
Scène I :
On entend, en sourdine, un très léger frottement, un
sorte
de chuintement, comme un feulement, presque musical, plus faible que la
respiration très lente d'un dormeur qu'on entend aussi.
Ne provenant pas du dormeur, peu à peu, un battement de coeur
se fait entendre et s'amplifie légèrement.
VIRGINIE [la voix de Virginie est douce et cordiale,
parfaitement
humaine bien que, peut-être, d'un timbre un peu dur. D'abord tout
doucement] :
Yvan [prononcer Yvâne] ... Yvan... Paul aimerait que tu
te réveilles. Yvan... Excuse-moi! mais il faudrait que tu te
réveilles.
Il y a un café à côté de toi et aussi, si tu
veux, des pilules. Paul pense qu'il faut que tu te réveilles
pour
de bon... Tu es réveillé?
YVAN :
Oui. Qu'est-ce qu'il y a?... D'après les données
affichées,
on n'est pas encore arrivé. On n'est pas arrivé, n'est-ce
pas?
VIRGINIE :
C'est bien ça, on n'est pas encore arrivé.
YVAN :
Quel sacré rafiot!
VIRGINIE :
Oui. C'est ça.
YVAN :
C'est grave?
PAUL [la voix de Paul est, elle aussi, parfaitement humaine]
:
Salut Yvan [prononcer Yvâne] !... Pas encore, mais
ça
risque de le devenir. C'est dans la carrosserie, la double cloison a
été
attaquée par l'intérieur. Avec tout ce frottement et les
vibrations. Ça risque de percer assez rapidement... Tu veux
voir?
YVAN :
Ouais.
PAUL :
Alors j'actionne l'ouverture de la porte de la soute aux machines?
YVAN :
O.k.
On entend le bruit criard et aigrelet d'un moteur, genre deux temps. Il pétarade. Il y a aussi le bruit de battements et de grincements, comme dans un ancien atelier mécanique ou face à une sculpture de Tinguely.
PAUL :
Tu oublies de prendre Virginie avec toi!
YVAN
Oh! excuse, Virginie.
On entend une ceinture se boucler.
Le vacarme augmente au fur et à mesure qu'Yvan
pénètre
dans la cale.
YVAN :
Lumière!
VIRGINIE :
C'est désagréable, tout ce bruit?
YVAN, il est obligé de crier :
Très! A la limite du supportable. C'est chaque fois pire!
Regardez
ce tuyau!
PAUL :
C'est le conduit de climatisation de la cabine.
YVAN :
Et bien il balance, on dirait un boa furieux. Si on fait rien, il va
péter!
PAUL :
Non! pas dans l'immédiat, il n'y a pas encore de risque de ce
côté-là.
VIRGINIE :
C'est là. Tu vois? Juste au milieu du faisceau, là
où
mon rayon est dirigé.
YVAN :
Oh la la!... On peut réparer?
PAUL, o n ne comprend pas ce qu'il dit :
....
YVAN criant encore plus fort :
Pardon?
VIRGINIE :
Il a dit: pas en vol.
YVAN :
Demande-lui si j'ai tout vu?
VIRGINIE après un instant :
Oui, tu as tout vu.
YVAN :
Je retourne dans la cabine, ce n'est pas supportable, ici!
Le bruit tombe d'un coup, on retrouve le fond sonore, quasi imperceptible, du tout début: la porte s'est refermée.
YVAN d'abord trop fort parce qu'il crie encore :
Merci! On fait quoi? Attends, je branche Virginie sur son secteur...
On fait quoi?
VIRGINIE :
Paul pense qu'il faut quitter le tunnel principal et trouver la
première
issue.
YVAN :
Oui?
PAUL :
Oui.
YVAN :
Je n'aime pas ça. Sortir... prendre un embranchement, sans
savoir
dans quel espace il va nous faire déboucher. Tu n'en sais rien,
toi, Paul?
PAUL :
Rien. Mais si la cloison pète, tu es foutu, Yvan!
VIRGINIE :
Et probablement moi aussi et...
PAUL :
Et même peut-être moi? C'est bien ça.
YVAN :
Sur l'espace à la sortie, on ne sait rien?
PAUL :
Non, rien. Personne n'a quitté par ici le transit central du
tunnel, d'après la data-base. On est juste au milieu. Deux A.N.
derrière, deux devant.
YVAN :
Et tu es sûr qu'un bras annexe du tunnel sortira rapidement
à
la surface de l'espace-temps?
PAUL :
Sûr? non. Mais d'après la modélisation... tu veux
voir?
[on entend un écran cathodique qui s'allume] Tu vois:
sur l'écran: en jaune, Dauphine, notre bahut. En rouge: la
partie
principale du tunnel espace-temps. En orange: les petites bifurcations
avec, en bleu foncé, les trous sur l'espace-temps réel,
bleu
clair, à la périphérie.
YVAN :
La surface de la pomme.
VIRGINIE :
C'est ça: les tunnels d'espace-temps sont comme les trous
qu'aurait
creusés un ver dans une pomme, lui permettant de joindre
directement
différentes portions de la surface de la pomme: pour nous:
l'univers.
Par ces trous, ces tunnels, nous gagnons des dizaines d'A.N.,
d'années-lumière...
Si les modèles mathématiques de Paul sont exacts, ce
branchement
devrait nous recracher rapidement à la surface de la pomme.
YVAN :
Rapidement?
VIRGINIE :
Un jour-lumière. Un jour-lumière, c'est bien ça,
Paul?
PAUL :
Probable.
YVAN :
Et si le modèle est faux?
PAUL :
La cloison aura eu le temps de péter.
YVAN :
Je vois. O.k. Allons y!
VIRGINIE :
On te rendort?
YVAN :
Oui. Tu me réveilles dès qu'on est dehors. Mets-moi des
battements de coeur.
VIRGINIE :
Bonne nuit. Tu as de beaux yeux... je crois.
On entend, mieux, le bruit du début, avec les battements de
coeur
.
Scène II :
:
:
Même décor sonore qu'au début de la scène
I, bruit de coeur progressif.
VIRGINIE :
Yvan... Yvan... Voilà, il faut de nouveau te réveiller:
on est sorti, tout va bien. Tout semble aller bien.
YVAN :
On est sorti?
VIRGINIE :
Oui.
YVAN :
Dauphine tient toujours?
VIRGINIE :
Paul dit qu'elle devrait tenir. Sauf si les planètes que nous
apercevons... là, sur l'écran de visualisation
antérieur
- c'est un petit système solaire: quatre planètes - sauf
si ces planètes ont une atmosphère trop dense. Mais
même
dans ce cas, à condition de ne pas traîner et d'atterrir
au
plus vite...
YVAN :
Atterrir?...
VIRGINIE :
Oui, atterrir: je n'ai pas d'autres mots. Mais si ça te rend
trop nostalgique, je peux dire aplanéter. A condition
d'aplanéter
au plus vite...
YVAN :
Aplanéter? Mais non! Alors, si on atterrit au plus vite?
PAUL :
Et bien ça passe, ça devrait passer. On doit
réussir
à se poser... J'ai terminé l'analyse spectrographique, la
deuxième planète devrait convenir.
VIRGINIE :
Celle-là.
YVAN :
Oui, je vois.
PAUL :
Demi-densité, atmosphère oxygénée...
YVAN :
Fluorée?
PAUL :
Non, carbonée. Tu pourras probablement te passer de scaphandre.
YVAN :
Ça va me faire du bien, une terre, des fleurs, des oiseaux
peut-être...
leur chant...
VIRGINIE :
Si j'étais une... je crois que je me sentirais très
attirée
par ta poésie. En plus de tes yeux bleus, de ta blondeur
rousse...
Tu as pris une barbe de cinq jours pendant ce sommeil de deux ans...
YVAN :
...des femmes peut-être?...
Le feulement s'amplifie, il est accompagné maintenant de frottements et de vibrations extérieurs étouffées par l'insonorisation de la cabine. Eventuellement il y a une musique figurative.
PAUL :
Il faut t'attacher, nous sommes déjà dans la
sphère
d'attraction.
VIRGINIE :
L'atmosphère.
PAUL :
J'ai pointé Dauphine sur une latitude moyenne, elles sont en
général plus favorables. Hémisphère
estival.
YVAN :
On ne voit plus rien.
PAUL :
Nuages. Altitude mille mètres. Il fera presque nuit à
l'atterrissage... Vitesse subsonique.
VIRGINIE :
Huit cents, six cents, quatre cents, Dauphine se redresse... Ça
y est.
YVAN :
Nous sommes sous le nuage.
Le bruit extérieur a diminué.
PAUL :
Tu vois cette butte, à l'horizon? Je pose Dauphine dessus?
YVAN :
C'est toi qui sait. La cloison?
PAUL :
Elle a percé, mais ça n'a plus d'importance.
Le bruit s'arrête et s'inverse.
VIRGINIE :
Atterrissage horizontal... cent mètres, cinquante, dix, contact!
Réussi! J'ai eu chaud!
YVAN :
Tu as eu chaud?
VIRGINIE :
C'est une façon de dire, c'est une expression, Commandant. On
peut ouvrir les volets des hublots, les écrans de visualisation
ne sont plus nécessaires...
Bruit d'ouverture des volets de hublots.
YVAN :
Allume les phares, Paul!... Et bien, dis donc! On dirait que c'est
tout brûlé! Regarde cet arbre, cette carcasse d'arbre
calciné.
De la boue, des cratères... météorites? C'est rare
dans une atmosphère conventionnelle...
PAUL commentant le résultat de ses analyses immédiates
:
Vie végétale, mais faible, plantes vivantes de petite
taille seulement. Vie animale: micro-organismes, animaux à
chitine,
volants, genre insectes. Invertébrés. Grandes plantes:
arbres,
calcinés. Effectivement ça a complètement
brûlé
par ici. Ah! squelette de vertébrés. Gros
vertébrés.
Ah! pièce métallique, du cuivre, à
côté
du squelette... mais aucun gros vertébré vivant dans mon
rayon d'action.
VIRGINIE :
Ça doit te faire une drôle d'impression?
YVAN :
On dirait...
VIRGINIE :
C'est pas exactement les fleurs et les oiseaux que tu attendais.
YVAN :
On va aller voir dehors. Paul? On va faire une sortie.
PAUL :
Il faut tout de même que tu te mettes un filtre. Virginie me
transmettra son analyse. J'ouvre le sas de sortie. Dehors il fait vingt
degrés.
On entend Yvan se lever, s'équiper, boucler une courroie.
YVAN :
J'ai fixé Virginie à ma ceinture. Paul, faut-il que je
l'équipe d'un désintégrateur?
VIRGINIE :
Bien sûr! il faut être prudent.
PAUL :
Virginie a probablement raison.
YVAN :
Probablement?
PAUL à contre-coeur :
Elle a sûrement raison.
Bruit du sas qui s'ouvre, de l'échelle qui descend. Bruit d'extérieur abandonné, bruit de vent.
PAUL :
Ici, tu pèses 45 kilos.
Scène III :
:
:
Décor sonore de l'extérieur du vaisseau: la butte
désolée:
bruit du vent en rafales lentes sur un espace exposé,
désolé,
désert.
YVAN :
Virginie, éteins ta lumière, la nuit est assez claire.
Y a-t-il une lune?
VIRGINIE :
Paul dit qu'il y en a deux, mais une est couchée pour l'instant,
l'autre est pleine, mais masquée par les nuages.
YVAN :
Ça a vraiment brûlé. Tout. Il devait y avoir de
l'herbe. Eclaire un peu par terre. Regarde, j'ai ramassé des
cendres
d'herbe calcinée.
VIRGINIE :
Donne... Elle a brûlé il y a cinq semaines. La chaleur
était si élevée, mille degrés et plus, que
pour l'instant rien ne peut repousser, pour autant que les rythmes de
l'écosystème
soient proches des rythmes terrestres. [...] Paul dit que ce
sont
les mêmes.
YVAN :
Où Paul a-t-il repéré le squelette du gros
vertébré?
VIRGINIE
Là, au centre de ma flèche lumineuse.
On entend les pas d'Yvan sur le sol brûlé.
YVAN :
C'est le squelette d'une grosse bête. Ah! l'objet
métallique
[il
le prend]. On dirait un casque... J'en ai vu, un casque comme
ça,
au musée militaire. Il ressemble à ceux d'une
armée
européenne... début du vingtième probablement, ils
étaient aussi en laiton ou en nickel...
VIRGINIE
Celui-ci est tout en cuivre.
YVAN :
Et c'est un squelette de quoi?
VIRGINIE :
Nous n'avons pas assez d'éléments pour le savoir. Il
faudrait en trouver d'autres? [Yvan marche encore un peu] On
est
sorti du champ de vision direct de Paul.
YVAN :
Oh! la! la! que ça pue! [encore quelques pas] des
charognes!
des charognes énormes, des orques! C'est la planète des
orques!
VIRGINIE :
Mais non! ce sont des quadrupèdes.
YVAN :
Pourtant on jurerait des orques. Enfant, j'en ai vu un en
putréfaction
sur une plage... on dirait cet orque... ou un éléphant de
mer, si tu veux. Que ça pue! Tu as de la chance, toi. [pas
et
bruits] Tiens, sur cette masse immonde qui a dû être
une
tête: un casque. Ce n'est pas le même modèle de
casque
que celui du squelette.
VIRGINIE :
Ils ne sont pas non plus morts en même temps. L'autre est
déjà
un squelette, il est mort il y a longtemps. Ceux-ci sont morts
brûlés.
YVAN :
Si je comprends bien, sur la planète des orques, on est aussi
en guerre: individus casqués, modèles de casques
différents,
morts violentes... Tiens! une espèce de déflagrateur.
VIRGINIE :
Drôle de déflagrateur!
YVAN :
Tu as raison, c'est un modèle à munitions, c'est un
fusil,
un fusil. Pas très évoluées ces armées...
En
tout cas, c'est super comme accueil! On rentre! On en a assez vu.
VIRGINIE :
Attends, je voudrais prendre encore quelques mesures pour Paul, il
pourra ainsi nous faire un rapport dès notre retour. [On
entend
Yvan qui tourne autour des charognes] C'est bon.
Retour vers le vaisseau.
YVAN :
Il fait tout de même trop sombre pour que j'arrive à voir
si c'est identique plus loin, si ça a aussi brûlé.
VIRGINIE :
Aux infrarouges, ça n'a pas l'air très différent.
YVAN :
Charmante planète! Charmant accueil! Et moi qui rêvais...
Ils sont de retour dans le vaisseau, les bruits de l'extérieur disparaissent avec la fermeture de la porte.
PAUL :
J'ai brossé un premier portait robot des individus
repérés.
Ils sont tous de la même espèce. Ils ont à peu
près
cette allure: regarde sur le grand écran, je t'envoie ma
maquette.
Ils ont effectivement un peu la taille et l'aspect d'un
éléphant
de mer, mais ce sont des quadrupèdes, un peu comme de gros
gorilles,
mais en plus trapus. Longueur (ou hauteur: ils sont probablement
plantigrade)
un peu moins de trois mètres. Trop brûlés pour que
je puisse me prononcer sur leur épiderme: peau ou pelage? ou
écailles?
Sur l'image, je les ai représentés nus, je veux dire sans
poil, mais c'est faute d'en savoir assez... Pour l'instant, rien sur
leur
cerveau, en dehors de son volume probable.
YVAN :
Ils ont des égalisateurs et des casques, ils savent probablement
faire la guerre.
VIRGINIE
Oui, ce sont très probablement des êtres
évolués.
PAUL :
Parce qu'ils savent faire la guerre, bel indice!
VIRGINIE :
Oh! toi!...
YVAN :
Au moins je vais pouvoir dormir en sommeil naturel, cette nuit, c'est
toujours ça.
PAUL :
La nuit astrologique ne dure que huit heures, ici.
Yvan détache Virginie et s'installe pour la nuit.
YVAN :
Bonne nuit.
Scène IV :
:
:
Le vaisseau est plongé dans le sommeil. Cris soudain d'un coq,
répétés.
YVAN réveillé en sursaut :
Hein, hein. Qu'est-ce que c'est!
Bruits étranges et saccadés, stéréotypés: ce sont les rires de Paul et de Virginie.
PAUL et VIRGINIE traduisant les bruits :
Nous rions!
VIRGINIE :
T'affole pas, c'est une farce! Le coq, c'est une idée de Paul!
Tu avais l'air si réjoui de retrouver un sommeil
planétaire.
Tu n'es pas fâché?
YVAN se réveillant pour de bon et riant gentiment
Non, non... Il fait grand jour... Et ces bruits? c'est quoi? c'est
quoi ces bruits? [On entend, sporadiquement, de dehors, des
roulements
lointains.] On dirait... au loin... des roulements... mais pas de
tonnerre...
VIRGINIE :
C'est pour ça que Paul a décidé de te
réveiller.
PAUL :
Ça a commencé avec le jour. Ce n'est pas un orage. Aucun
signe magnétique.
YVAN :
Ouvre donc un hublot, celui-là. [Bruit de l'ouverture
automatique
du hublot, les grondements se font plus distincts.] Ça
ressemble
à quelque chose... ça me rappelle quelque chose... ah! de
nouveau: au musée militaire, aux archives
cinématographiques...
J'y suis: un bombardement, un bombardement avec des armes à
munitions,
des canons, ils appelaient ça des canons. Toujours dans les
premières
guerres européennes du vingtième. C'est sûrement
ça...
Paul? tu peux voir quelque chose? ou des traces infrarouges?
PAUL :
Très peu de choses, l'endroit probable est masqué par
d'autres buttes...
YVAN :
Effectivement, maintenant on peut voir qu'il y a plein d'autres buttes
en forme de cônes. La nôtre est la plus haute. C'est aussi
brûlé, partout.
PAUL :
Il y a bien un peu plus de rayonnement thermique là-bas. Tu
dois pouvoir voir un peu de brume. Ou de fumée.
YVAN :
C'est possible. C'est loin?
PAUL :
Peut-être trois kilomètres. Peut-être un peu plus.
YVAN :
Tu peux sortir l'Amisix [prononcez: Amisisse] . Je vais aller
voir. Le terrain doit être franchissable.
VIRGINIE :
Si tout est brûlé, ça va être plus facile.
PAUL :
Ça ne devrait pas poser de problèmes.
YVAN :
Température normale, 24 degrés. Faut-il que je mette
le masque?
PAUL :
Non, j'ai analysé les données récoltées,
pas de danger, mais prends-en un, tout de même. Et aussi un
casque.
YVAN :
Et un égalisateur, en plus de celui de Virginie.
PAUL :
Mais évitez à tout prix de vous en servir! Vous savez...
VIRGINIE :
On sait!
PAUL :
J'ai chargé Virginie avec le transcodeur-syntaxique autonome.
Bonne route.
Ouverture des portes. Descente d'YVAN. On l'entend s'installer dans l'Amisix. Claquement de portières de citroën et bruit de démarreur et de démarrage de citroën, bruit de moteur de citroën.
YVAN :
Je mets la commande vocale, si elle fonctionne toujours [ Bip ].
Amisix, le sol a l'air suffisamment stable pour que tu puisses avancer
avec les chenilles. Remonte les roues, garde les pieds à
portée
de main.
Bip de l'Amisix. Tout le reste de la scène est accompagné du bruit du moteur et des chenilles sur le sol.
YVAN :
La lumière est plus verte que sur terre. A moins que cela ne
soit dû au sol gris et noir de cendres brûlées...
VIRGINIE :
Regarde! Là! à droite.
YVAN :
Amisix, arrête-toi!
Arrêt, portières
VIRGINIE :
Qu'est-ce que c'est?
YVAN :
De nouveau des orques calcinées.
VIRGINIE :
Merci! Je vois bien! Mais cet espèce de canal dans lequel ils
sont? Regarde, ils avaient dû l'étayer.
YVAN :
... Des tranchées.
VIRGINIE :
Des tranchées?
YVAN :
Des tranchées. Pendant la première guerre du
vingtième
siècle, les soldats d'alors creusaient des tranchées, ces
espèces de canaux qu'ils étayaient avec du bois, pour se
protéger des obus...
VIRGINIE :
Des obus?
YVAN :
C'est le nom des munitions de leurs canons. Pour se protéger
des obus ennemis.
VIRGINIE :
Ça n'a pas l'air efficace.
YVAN :
Je ne sais pas... Allez! On continue.
L'Amisix redémarre
VIRGINIE :
Encore des... des tranchées, tu as vu?
YVAN :
Dans celle-là, il y a des casques des deux sortes... Les
bombardements,
c'est assurément des bombardements, le doute n'est plus
possible,
se font de plus en plus fort. On y est presque.
VIRGINIE :
Là, sur la carte électronique, Paul a
précisé
leur position probable. Ça doit être juste derrière
cette butte.
YVAN :
On va s'arrêter là et on va y aller à pied. Paul
a tout de même raison: on n'a pas intérêt à
se
faire remarquer tout de suite. Mieux vaut ne pas commencer par se
canarder...
On sait qu'ils sont armés, que leurs armes sont en position. Et
ce n'est pas tout a fait certain que nos défenses soient
totalement
efficaces face à ces armes anciennes.
VIRGINIE :
Prends ton casque.
Maintenant on entend marcher YVAN, les bombardements sont forts.
VIRGINIE :
Stop! Ils sont juste là, juste derrière, à ras
du sol.
YVAN :
Je suis encore protégé jusqu'à ce talus.
VIRGINIE :
Maintenant, il te faut ramper jusqu'à la crête si tu veux
qu'on voie quelque chose.
Un obus a dû exploser tout près, des éclats de terre retombent autour d'eux. Ils avancent en rampant.
YVAN :
Là!
VIRGINIE :
Qu'est-ce que tu vois?
YVAN :
Attends, je te décroche et je te pose pour que tu puisses aussi
voir. Regarde!
VIRGINIE :
Mon Dieu! Et tous ces nuages! Ce sont tes "obus"?
YVAN :
Hein, hein. C'est probablement surtout de la poussière et de
la terre projetée, et la fumée des explosions. Ça
n'a pas l'air, pour l'instant, d'être des bombes incendiaires.
Regarde,
juste là, à gauche, à la batterie, on voit bien
les
orques! ils tirent.
VIRGINIE :
Ils ont bien la peau nue, comme une peau d'éléphant.
YVAN :
On dirait vraiment des éléphants de mer. Le portrait
robot de Paul était assez exact: des gorilles nus, en plus
grands.
Leur peau est brune. Ils sont drôles avec leur casque! Tout nus
avec
un casque.
Explosion.
VIRGINIE :
Mon Dieu! Etêté!
YVAN :
Comme ça gicle! Tu crois que tous les êtres de tout
l'univers
ont, tous, le sang rouge? Il pourrait aussi bien être bleu, non?
Regarde ça continue à pisser, on dirait une borne
d'incendie.
Il a des litres de sang celui-là!
VIRGINIE :
C'est à cause de l'hématine.
YVAN :
Pardon?
VIRGINIE :
C'est à cause de l'hématine. C'est à cause de
l'hématine contenue dans l'hémoglobine que le sang est
forcément
toujours rouge, à cause du fer qu'elle contient. Je viens de
poser
la question à Paul... Il nous recommande d'être prudent,
il...
YVAN :
Voilà, il est enfin vide. C'est plutôt
dégoûtant;
pas émouvant, dégoûtant. Pour l'instant, je ne me
sens
pas plus proche d'eux que de grenouilles. [Les bruits de tirs et
d'explosions
cessent.] Ça a l'air de se calmer. A cette batterie, dans
leur
tranchée, ils ont tous été tués. Ceux de la
batterie de droite sont intacts, par contre. Ils sont en train de se
parler,
on entend même vaguement leurs voix. Capte et amplifie, Virginie.
VIRGINIE :
O.k.
Dans le silence des explosions qui se sont tues, on entend un brouhaha. Ce brouhaha, amplifié par l'intermédiaire de Virginie devient un langage audible mais, d'abord, incompréhensible.
LES ORQUES :
Baouba -Ouaanoua -Oua , naboubou naboua ouna aoua! - S oua, ouaa,
aaoua. -Ouga ouga!
YVAN :
Ils doivent commenter cette dernière attaque. Qu'est-ce qu'ils
disent?
VIRGINIE :
Pour l'instant mon programme de recherche aléatoire n'a reconnu
aucun mot.
YVAN :
Oriente ton transcodeur-syntaxique sur le vocabulaire militaire ancien.
Vingtième siècle.
LES ORQUES :
Baa ouba -Oua aboua -Oua [bip électronique] obus ,
naboubou
naboua ouna, [bip électronique] obus , aoua! - Oua, [bip
électronique] explose , soua, ouaa, aaoua. -Ougaougaboua. [bip
électronique] morts
VIRGINIE :
Le transcodeur a déjà trouvé "obus" et "explose".
YVAN :
Et "morts".
VIRGINIE :
Et "morts". Attends! Ça vient. Je supprime les "bip". Je laisse
les sonorités au plus près de leur parler réel?
YVAN :
Oui, si ce n'est pas compréhensible, je te le dirai.
A partir de ce moment, tous les propos des orques sont traduits par le transcodeur, en français, à l'exception éventuelle de certains jurons et certains grades, s'ils n'ont pas d'équivalent dans la langue. Le transcodeur respecte par contre les tonalités et la musicalité de leur langue. Eventuellement après quelques réglages.
LES ORQUES :
- Ils ont eu la batterie 5.
- Une de plus!
- Ou une de moins.
[Rires]
- Ouououa!
VIRGINIE :
Quelque chose comme "les salauds!"
LES ORQUES :
- Ils tirent bien, aujourd'hui!
- Nous avons aussi démoli une de leurs positions.
- Ouka...
VIRGINIE :
Probablement l'équivalent de "sergent".
LES ORQUES :
- Prends deux hommes et va voir s'il y a des survivants.
- A vos ordres, Kakoua!
YVAN :
Regarde!
VIRGINIE :
Qu'est-ce qu'ils font?
YVAN :
Ceux de l'autre camp sortent de leur tranchée! Ils courent vers
la batterie détruite!
VIRGINIE :
Ceux d'ici arment, ils vont tirer!
Tir, explosion.
YVAN :
Vouuoh! Ils courent toujours! Les premiers arrivent à la
batterie!
Ceux d'ici pointent maintenant sur leur ancienne position. Les autres
ripostent
avec le canon qu'ils viennent de prendre.
Les échos du combat répondent au texte.
VIRGINIE :
Oh! là!
YVAN :
Les nôtres ont placé leur coup!
LES ORQUES :
Hourra!
YVAN :
La position est de nouveau nettoyée!
VIRGINIE :
On en a assez vu?
YVAN :
Non, c'est comme un vrai match de foot!
Les échanges continuent.
Scène V :
:
:
Changement de décor: de retour à l'intérieur du
vaisseau.
YVAN:
... En deux heures, dans une fumée et un feu d'artifice
fantastique,
ils ont perdu et repris la position toute proche de nous. Si j'ai bien
compris, les bleus...
PAUL :
Les bleus?
VIRGINIE :
Oui, il y a les bleus, ils ont du bleu sur le casque, comme sur le
premier casque, celui qu'on a amené. Et puis il y a les jaunes,
ceux qui ont du jaune sur leur casque, cet autre modèle de
casque,
pointu. Sinon, rien ne les distingue les uns des autres, ils sont nus,
ils parlent la même langue. Pourtant, il faut voir comme ils se
tirent
dessus! Fantastique!
PAUL :
Si tu avais de vrais yeux, on les verrait briller! Dans quel
état
tu es, ma pauvre Virginie!
VIRGINIE :
Oh! toi, garde tes commentaires!
PAUL :
Et alors? les bleus?
VIRGINIE :
Eh bien! on a appris qu'en quinze jours, ils ont avancé de cent
mètres dans les positions ennemies, les jaunes, puis reperdu
septante-cinq
mètres. C'est ce qu'on a compris.
PAUL :
Vous les comprenez déjà bien.
VIRGINIE :
Oui, ça va déjà bien. Je vais te passer les
enregistrements,
tu pourras nous perfectionner.
YVAN:
Ils considèrent qu'ils ont l'avantage: ils ont pris, en fait,
vingt-cinq mètres, ces quinze jours. Mais ils ne crient pas du
tout
victoire, ni défaite. Ni les autres, du reste. Vingt-cinq
mètres,
ça ne semble déjà plus signifier grand chose pour
eux. Ils ont l'air très aguerris. Ça a déjà
quelque chose de la routine. Même s'il y a pas mal de morts.
PAUL :
Il y a quelques semaines, cinq peut-être, et aussi plus
longtemps,
ils étaient ici. Et ici a dû être occupé
aussi
bien par les jaunes que par les bleus, successivement...
Scène VI :
:
:
Marqueur temporel, deux jours ont passé.
Bombardement dans le fond. La scène se passe dans
l'immédiat
extérieur de la fusée, dans les travaux des parois. Yvan
et Virginie sont en rapport direct avec Paul.
YVAN :
Voilà. Les dégâts sont très importants.
Il nous a déjà fallu deux jours pour éliminer tous
les tissus atteints, le trou dans le carénage est maintenant
énorme
et nous n'avons pas assez de tissu polymérisé pour
pouvoir
faire une réparation immédiate. C'est bien ça?
PAUL :
Du tissu polymérisé, nous en aurons quand les incubateurs
en auront produit en suffisance. Pour ça, dès que tu
auras
terminé l'installation, à l'extérieur, du
laboratoire
automatique, il va falloir attendre XX jours. Après seulement
nous
pourrons faire la réparation, qui, elle, pourra être
effectuée
assez rapidement.
YVAN :
Ce qui veut dire?
PAUL :
Ce qui veut dire que pour plus de XX jours tout départ est
désormais
impossible, que la soute des machines est ouverte sur
l'extérieur,
exposée à tout vent, exposée...
VIRGINIE :
Exposée?
YVAN :
Paul? Amisix est de nouveau allée en pilotage autonome sur le
front, ce matin? Tu as déjà pu analyser les documents
qu'elle
a rapportés?
PAUL : Oui, sur le front, les deux ennemis avancent et reculent continuellement: on dirait un tango.
YVAN :
Tu connais le tango!
PAUL :
Oui... j'aime...
YVAN :
Décidément...
PAUL :
Les bleus ont perdu mille mètres. Ce qui les laisse totalement
indifférents. Il semble que cent mètres dans leur guerre
ça ne signifie rien. Je me demande depuis quand ils sont en
guerre...
VIRGINIE :
Depuis... Tu n'es pas arrivé à le savoir?
PAUL :
Pas encore précisément. Ça doit faire un
sacré
bout de temps.
YVAN :
Ils se battent comme s'ils l'avaient toujours fait, en tout cas.
PAUL :
J'ai consulté la mémoire d'archive. Sur terre, il y a
effectivement eu une guerre européenne au début du
vingtième.
Ils l'ont appelée la guerre de 14-18. Eh bien, il semble que ce
fut une guerre comme celle-là. Entre les français et les
allemands, ils sont restés comme ici, face à face, un pas
en avant, un pas en arrière, pendant des mois et des
années.
La même boucherie qu'ici a duré des années!
VIRGINIE :
Sauf que c'était des hommes!
PAUL :
Qu'ici ce soient des orques, est-ce si différent?
Virginie a un petit rire moqueur.
Scène VII :
:
:
Marqueur temporel: après quelques jours. La scène se
passe dans la fusée.
YVAN :
Comment va la culture des tissus?
PAUL :
Ça avance normalement, les incubatrices peuvent puiser tous
les éléments dans le milieu ambiant. C'est du
côté
du front que je commence à être inquiet: les bleus ont
perdu
un kilomètre, ils ne sont plus qu'à mi-distance d'ici. Tu
veux voir les documents d'Amisix?
YVAN :
Oui.
On entend un écran cathodique s'allumer: bruits de la bataille comme s'ils y étaient. On entend aussi, d'assez loin, le parler des orques. Il n'est pas transcodé.
VIRGINIE :
Qu'est-ce qu'ils ramassent!
YVAN :
Regarde-les détaler. Ils courent rudement vite, bien que si
gros et si compacts.
VIRGINIE :
Cinq! Cinq de fauchés, d'un coup! Regarde, là, il y en
a un qui s'est fait écraser par le corps d'un autre qui lui est
retombé dessus!
PAUL :
Je vais vous montrer un peu plus loin. [Repérage sur la
bande,
son accéléré, puis bruit de champ de bataille en
trêve,
on entend mieux les orques qui parlent entre eux, ce n'est toujours pas
décodé.] Ils sont au rapport. Un lieutenant fait le
point
de la situation, il dit qu'ils ont perdu cinq cents mètres en un
seul jour. Mais leur capitaine explique: "Notre bataillon "5" est en
vacances.
Bientôt c'est leur bataillon "3" qui sera en vacances, nous
récupérerons
probablement le terrain à ce moment-là.
YVAN :
Espérons-le.
PAUL :
Il dit encore d'avertir la ligne quarante-quatre de leur prochaine
arrivée. J'ai bien l'impression que cette ligne quarante-quatre
se trouve en arrière de leur ligne actuelle.
YVAN :
On dirait bien.
VIRGINIE :
Et s'ils arrivent ici?
YVAN :
S'ils arrivent ici...
Scène VIII :
:
:
Marqueur temporel: le lendemain. Amisix rentre dans le vaisseau, les
bombardements à ce moment sont très audibles. Puis Yvan
est
dans la cabine de pilotage et les bruits s'assourdissent.
PAUL :
Alors!
YVAN :
Ils ne sont plus qu'à trois cents mètres, à la
première tranchée, la première, celle que nous
avons
vue en premier.
VIRGINIE :
Et demain, ils débarquent ici.
PAUL :
Avec l'ouverture dans le carénage, avec aussi les incubateurs
dehors, nous ne serons pas en mesure de nous protéger
efficacement.
En plus nos armes défensives sont certainement très peu
adaptées
à leurs "obus" et leurs bombes explosives.
VIRGINIE :
On peut les détruire au fur et à mesure qu'ils
approchent...
PAUL :
Virginie!
YVAN :
Mais ça ne nous protégera en rien contre leurs tirs
à
distance.
PAUL :
Il faut entrer rapidement en contact avec eux...
YVAN :
Peut-être.
PAUL :
Essayer de négocier.
YVAN :
Négocier?... On va voir. Virginie, on retourne tout de suite.
Paul, équipe Amisix d'un guideur laser et d'un écran
magnétique.
Il en faut aussi un pour nous.
PAUL :
Surtout n'oubliez pas que nous ne sommes pas forcément en
position
de force.
YVAN :
Non, je n'oublierai pas.
PAUL :
Méfie-toi un peu de...
VIRGINIE :
De Virginie!
PAUL :
Tu n'es pas toujours de très bon conseil... La souffrance n'est
pas facile à imaginer pour nous autres.
VIRGINIE :
Et tu trouves que je manque d'imagination, c'est ça? n'est-ce
pas, mon pauvre petit Paul!
YVAN :
Ça suffit vous deux!
Scène IX :
:
:
Yvan et Virginie sont dans l'Amisix qui avance sur le terrain.
VIRGINIE :
Paul nous souhaite bonne chance.
L'Amisix continue à avancer.
YVAN :
Ils n'ont probablement jamais vu d'extra-planétaires...
VIRGINIE :
Tu crois qu'ils vont immédiatement vouloir nous canarder? Tu
crois que les présentations vont être longues et
difficiles?
YVAN :
Nous n'avons pas de temps à perdre... et nous ne pouvons pas
nous permettre d'affaiblir les bleus: notre camp, c'est les bleus...
pas
qu'ils soient meilleurs que les autres, mais ils sont de notre
côté,
géographiquement s'entend. [l'Amisix continue. Les tirs sont
de plus en plus proches. Yvan réfléchit] Virginie,
leur
langue? on est capable de la parler? bien?
VIRGINIE :
C'est sûr. Arrête! les voilà!
YVAN :
Non! Amisix, continue! Avance sur la première batterie, juste
là. Ne t'arrête qu'à dix mètres d'eux!
Active
immédiatement l'écran magnétique et envoie des
décharges
tétaniques [bruits électroniques, éventuelles
exclamations
d'orques] . On sort! [Portière d'Amisix] Virginie,
repère
exactement le canon ennemi, le premier, celui qui essaye d'atteindre
notre
batterie! Et dététanise l'artilleur. Bonjour [ses
paroles
sont instantanément traduites en orquien:] Gouba. Nous
allons
vous aider. Nouaoua goura oura. [S'adressant à Virginie:]
Ils sont totalement stupéfaits. [S'adressant à
l'artilleur:]
Toi! Vise cette flèche rouge que tu vois dans le ciel, devant
ton
canon, la batterie ennemie se trouve exactement à cent
mètres
[s'adressant
à Virginie:] tu connais leur système de mesure?
Converti!
30 ooura [le parler d'Yvan est transmis aux orques par
l'intermédiaire
du transcodeur de Virginie, qui conserve les intonations d'Yvan]
Tire!
Explosion du tir au départ et à l'arrivée.
L'ORQUE ARTILLEUR :
Ouaaa!
YVAN :
Ils ont compris. On est là pour vous aider. N'ayez pas peur!
[S'adressant
à Virginie:] Sous le feu de l'action, ils n'ont pas le temps
d'avoir peur de nous. Il faut recharger? [S'adressant à
l'artilleur:]
Faut-il recharger?
L'ORQUE ARTILLEUR :
Zou. Oui.
YVAN :
Dététanise les autres. Rechargez! [on entend les
orques
qui rechargent rapidement et sans un mot] L'autre batterie est
là.
En bas de la flèche. [S'adressant à Virginie:]
Ils
savent ce que c'est une flèche. 70 mètres, feu!
Explosion du tir au départ et à l'arrivée.
LES ORQUES :
Hourra! Bravo! Il y en a une autre par là.
LE SERGENT ORQUE :
Chargez!
PAUL :
Virginie, pointe! Pointez!
LE SERGENT ORQUE :
Feu!
Explosion du tir au départ et à l'arrivée.
LES ORQUES:
Bravo! [Ils jubilent et se félicitent. Ils rient]
Scène X :
:
:
Plus tard, lors de la trêve, dans le fortin de tranchée
du capitaine des orques (bruits caverneux et boueux, ouverts sur
l'extérieur).
LE CAPITAINE DES ORQUES :
Sergent, de mémoire d'orque on n'a vu pareil exploit! Ni dans
les récits de mon père ni même dans ceux de mon
grand-père
qui était pourtant orquien du sud. Quelle est cette machine
automobile
qu'on a vu arriver vers vous? aucun nouvel armement n'était
pourtant
annoncé!
LE SERGENT ORQUE :
Nous avons été aidé, mon capitaine. Il faut que
vous les voyez.
LE CAPITAINE DES ORQUES :
Faites-les entrer.
LE SERGENT ORQUE :
Euh... vous serez un peu surpris, ce sont des...
LE CAPITAINE DES ORQUES :
Des transfuges Lououques?
LE SERGENT ORQUE :
Non, un... un extra-orquien. Je crois. Je ne suis pas sûr s'ils
sont un ou deux.
LE CAPITAINE DES ORQUES :
Un ou deux?
LE SERGENT ORQUE :
Attendez capitaine. Venez
Yvan entre avec Virginie à la taille.
LE CAPITAINE DES ORQUES :
Oh...
YVAN :
Mon capitaine, n'ayez pas peur, nous... je suis effectivement un
extra-planétaire,
je veux dire un extra-orquien. Je viens de... de de l'autre
côté
de ... [S'adressant à Virginie:] Comment dit-on:
univers?
VIRGINIE :
Ce n'est pas un mot qu'ils ont déjà utilisé sur
le champ de bataille, il ne fait pas partie de leur vocabulaire usuel,
le vocabulaire militaire reste très terre à terre.
YVAN :
Je viens de de l'autre côté du ciel. Nous allons vous
aider.
LE CAPITAINE DES ORQUES :
Ah...
YVAN s'adressant à Virginie :
Il n'a que l'air embarrassé.
LE CAPITAINE DES ORQUES :
Ah... oui... nous aider?... J'ai vu, quel exploit... [Il se
ressaisit:]
Excusez, l'endroit n'est pas très confortable pour recevoir un
tel
visiteur, ce n'est qu'un fortin de tranchée, de la terre
renforcée
avec de gros étais, et un toit très incertain qu'il faut
toujours reconstruire. Nous l'occupons à tour de rôle,
nous
et les Lououques.
VIRGINIE :
Les Lououques?
YVAN :
Les jaunes.
LE CAPITAINE DES ORQUES :
Nos ennemis héréditaires.
YVAN :
Depuis quand êtes-vous en guerre?
LE SERGENT ORQUE :
Depuis...
LE CAPITAINE DES ORQUES :
Depuis quand? [Il rit] En voilà une question! Mais...
mais depuis toujours. Nous sommes en guerre avec les Lououques depuis
toujours.
Chez vous ce n'est pas comme ça?
YVAN :
Non! Enfin, pas vraiment. Il y a bien toujours une guerre ici ou
là,
ou sur une de nos autres planètes... Mais vous voulez dire
qu'ici,
contre les Lououques, vous êtes toujours en guerre?
LE CAPITAINE DES ORQUES surpri :
Mais! c'est notre métier!
YVAN :
Et il faut que justement votre guerre se passe ici?
LE CAPITAINE DES ORQUES :
Pas spécialement ici, elle est générale. A part
Ouorgo et Aaua, les deux capitales d'où viennent les consignes,
la guerre est générale.
YVAN :
Eh bien, nous allons vous aider.
LE CAPITAINE DES ORQUES :
C'est que...
YVAN :
Quand voulez-vous que nous donnions un nouvel assaut?
VIRGINIE :
Il faut qu'on les éloigne suffisamment! Allons-y!
LE CAPITAINE DES ORQUES :
Les assauts reprennent le matin à 9 heures... Nous verrons cela
demain. Vous... vous mangez? Comme nous? Voulez-vous... voulez-vous
partager
notre repas? Sergent, restez avec nous.
On les entend se mettre à table, c'est une table de fortune,
de fortin plutôt.
Scène XI :
:
:
Sur le champ de bataille, en plein combat.
Explosion.
UN ORQUE :
Encore un de moins.
LE SERGENT ORQUE, il crie :
On avance!
On entend la section qui se déplace, déplaçant avec elle un mortier léger, on entend peut-être aussi l'Amisix.
UN ORQUE :
On va user nos plantes de pieds, si ça continue comme ça,
Sergent!
Rires orquiens
LE SERGENT ORQUE :
Le mortier est en place? Monsieur, pointez!
YVAN :
Virginie, pointe.
Tir, explosion
LE SERGENT ORQUE :
La suivante!
VIRGINIE :
Où?
LE SERGENT ORQUE :
Où? Tiens, il n'y a plus personne, apparemment. Et maintenant,
que faut-il faire? ce n'est pas encore l'heure de la trêve. Toi [il
s'adresse à un des orques] , va trouver le capitaine.
Demande-lui
des instructions.
L'orque s'éloigne. On entend les orques qui parlent entre eux, ce n'est pas transcodé.
YVAN :
Ils ne savent toujours pas exactement si nous sommes un ou deux
extra-planétaires.
Ils n'arrivent pas à concevoir que nous ayons des machines aussi
sophistiquées que toi ou Paul.
VIRGINIE :
Et aussi charmante [elle minaude un peu] ...
YVAN :
Et aussi charmante... [il soupire, nostalgique] charmante,
avisée,
efficace. Quel jeu, cette guerre!...
VIRGINIE :
Attends, c'est Paul! [Silence] Il nous supplie encore une fois
de rentrer. Il nous rappelle que, selon lui, nous ne sommes pas
là
pour conquérir une planète. Ce qu'il peut être
vieux
jeu!
YVAN :
Il doit s'ennuyer tout seul, le pauvre.
VIRGINIE :
Il est tout bouleversé. Attends... [silence] Il dit que
nous avons gagné largement assez de terrain, qu'il faut
absolument
qu'on rentre, qu'on risque...
YVAN :
Dix kilomètres en trois jours. Du jamais vu! Pauvres orques!
Ils semblent tout stupéfaits, même de ce
côté.
Et pourtant de ce côté, les pertes sont devenues minimes.
VIRGINIE :
Attends. [silence:] Paul dit que nous courons un grand danger,
un danger immense.
YVAN goguenard :
Demande-lui quel danger!
Silence.
VIRGINIE :
Je ne le comprends plus, il est vague, il bredouille... ah!
voilà:
il ne sait pas. Il ne sait pas encore. Ce n'est pour l'instant qu'une
impression.
YVAN :
C'est une machine trop sensible. Que veux-tu, une machine qui aime
le tango! Non, ne le lui répète pas, mais il n'est pas
là
pour ça!
VIRGINIE :
Il dit qu'il va essayer de modéliser ce qui se passe.
YVAN :
On ferait peut-être mieux de ne plus lui transmettre de
données.
VIRGINIE :
Quand même! On ne peut tout de même pas lui faire
ça.
Et...
YVAN :
C'est vrai que ça ne serait pas très prudent.
Voilà
l'orque qui revient...
On entend plus distinctement de l'orquien non traduit.
LE SERGENT ORQUE venu jusque vers eux, on le sent inquiet et
irrité
:
Trêve. Trêve de plusieurs jours. Le capitaine a dû
recevoir des ordres de Ouorgo.
YVAN :
Mais c'est stupide de ne pas profiter de l'avantage. Et nous, Virginie
et moi, nous n'avons pas beaucoup de temps.
LE SERGENT ORQUE :
Ce sont les ordres.
VIRGINIE :
Les ordres...
Scène XII :
:
:
Marqueur temporel: le lendemain probablement. Toujours sur le champ
de bataille en trêve.
VIRGINIE :
Yvan? Tu n'as pas l'impression que depuis le début de la
trêve,
petit à petit, les orques de la section deviennent moins
aimables
avec nous? Ils nous laissent un peu de côté, d'abord ils
ne
s'intéressent plus guère à connaître le
monde
d'où nous venons, qui pourtant les fascinait tellement... On
t'apporte
à manger ici, maintenant, mais on ne t'invite plus. Regarde-les,
regarde comme ils nous regardent...
YVAN :
Oui, c'est drôle. Ils ne nous regardent plus comme ils
regardaient
les héros... on dirait...
VIRGINIE :
On dirait aussi qu'ils s'ennuient. Et le sergent est loin depuis ce
matin. Le capitaine l'a fait venir... Attends, c'est Paul [silence]
. C'est bien Paul. Il nous supplie de rentrer immédiatement. Il
dit que nous courons un grand danger. Il dit de prendre l'Amisix et de
foncer jusqu'au vaisseau. Il a réellement l'air très
inquiet
[silence]
. Voilà: il a fini de modéliser et il a compris. Il a
compris
la situation... et c'est ce qui l'effraye... Il dit que les Auouaques
et
les Lououques vont...
On entend des bruits de voix d'orques.
YVAN :
Attends un instant. C'est le sergent qui revient. Tiens il y a aussi
une autre section. Elle arrive par la droite. Ils investissent la
tranchée.
Ils ont l'air bien pressés.
VIRGINIE :
Et là, il y a une section qui vient vers nous par devant. Ce
sont des jaunes, des Lououques.
YVAN, il appelle :
Sergent! Sergent, là! des Lououques, là! des Lououques!
[S'adressant
a Virginie:] Et voilà une section qui arrive par
derrière,
de chez les Auouaques et ce sont des Lououques.
VIRGINIE :
Paul a repri la communication. Il nous dit de fuir. Regarde! On dirait
bien que c'est à nous qu'ils en veulent!
YVAN :
Mais ce n'est pas possible!
VIRGINIE :
Regarde, ils arment.
YVAN :
Tétanise-les! [Bruit de tétanisateur] Tu as vu
juste. Vite! à l'Amisix! [On entend la course d'Yvan, le
bruit
du tétanisateur, des orques qui courent et qui se figent, la
portière
de l'Amisix, le moteur qui démarre, le véhicule qui se
met
en branle, des tirs, des cris d'orques non transcodés] Vite!
[coup
de feu, hurlement d'un orque] Passe-leur dessus.
Hurlements, jurons non transcodés, exclamations dans l'Amisix.
VIRGINIE :
Là! Regarde! Une tranchée sur notre route.
YVAN :
Amisix la franchira sans problème!
VIRGINIE :
Mais ils l'ont investie. Ils ont un canon. Ils arment!
YVAN :
Tétanise!
VIRGINIE :
On est encore trop loin.
YVAN :
Alors fonce [L'Amisix accélère] On ne peut
reculer,
ils arment aussi derrière! Tétanise! Tétanise!
Tétanise!
Explosion sur l'Amisix.
VIRGINIE :
Paul!... Paul!... Paul!... Paul... Paul ne répond plus! Paul
ne répond plus. Yva...
Silence total
Scène XIII :
:
:
Marqueur temporel. Silence total. Dans le vaisseau. :
:
PAUL :
Depuis quatre heures, j'ai perdu tout contact. Ce n'est peut-être
que la communication qui a été détruite. Mais
ça
peut aussi... [c'est une plainte douloureuse:] Virginie... [c'est
un appel:] Virginie!... [Bip électronique] Ah! une
détection
infrarouge. Les capteurs ont détecté une trace thermique.
Cette trace bouge. Elle s'approche. Elle vient par ici, c'est
certainement
un véhicule, à voir sa façon d'avancer et
l'importance
de sa trace thermique. C'est l'Amisix!
Marqueur temporel: une heure plus tard.
PAUL :
Virginie! Virginie! Rien. A la manière de progresser de
l'Amisix,
elle n'est plus pilotée, elle rentre par mémorisation de
sa route d'aller. Il n'y a peut-être plus personne à bord.
Virginie! Yvan! Yvan! [Il y a un peu d'écho, à
l'extérieur]
J'ai branché les haut-parleurs mais ça ne répond
pas!
[On
entend le bruit que fait l'Amisix en entrant dans son box à
l'intérieur
du vaisseau] Je reçois un signal: la connexion par la prise
fonctionne. Vite brancher le courant. Virginie! Virginie... Yvan!
Yvan...
ça y est: je reçois les données graphiques de
l'intérieur
d'Amisix. Mon Dieu! Yvan est mort. Je ne peux même plus le
reconnaître.
L'habitacle a été détruit par un de leurs obus. Et
là, à sa ceinture: Virginie! Son blindage a sauté,
tous ses circuits se sont répandus! Et voilà que c'est
comme
si je pleure... [quelques notes de tango très lent au
bandonéon]
Allons! Amisix peut encore me transmettre les données
mémorisées.
On entend comme une recherche sur un magnétophone.
LA VOIX DE VIRGINIE et le bruit de l'Amisix quand elle avancait sous
la mitraille :
Paul... Cher Paul. Tu as vu juste. Excuse-nous! Depuis une demi-heure,
la liaison est coupée. Si tu entends ce message c'est qu'Amisix
aura réussi à rejoindre le vaisseau. Seule. Yvan est
déjà
mort. Un obus. Il a défoncé l'habitacle. Yvan, je le sens
dégouliner sur moi, je suis toujours fixée à sa
ceinture,
c'est chaud et collant... Tu avais vu juste: ce que tu voulais nous
dire,
ce que ta modélisation avait trouvé, c'est que pour une
raison
que ni Yvan ni moi ne réussissons à comprendre, les
Auouaques
et les Lououques, les bleus et les jaunes, se sont mis ensemble. Pour
nous
détruire. C'est étrange. [On entend toujours des tirs
derrière et le bruit de l'Amisix] Il y a trop de choses que
je ne comprends pas. Je n'aurai pas le temps de les comprendre. [avec
une voix terriblement humaine:] Paul... je... je me suis
trompée,
j'ai été mal programmée, les hommes ne sont
probablement
pas très forts pour la programmation de nos sentiments, [avec
un tout petit peu d'ironie:] il leur manque peut-être un
modèle.
Paul? Paul, je croyais aimer Yvan... mais en fait, Paul, c'est toi
que...
Explosion suivie d'un silence complet et immédiat.
Scène XIV :
:
:
On entend très bien le vent en rafale sur la butte
désolée,
peut-être de la tôle qui balance et grince dans le vent.
PAUL :
Vous m'entendez?... Ecoutez-moi. Ecoutez-moi, je suis Paul... Je ne
suis plus qu'une boîte noire, blindée, un
parallélépipède
noir déjà partiellement enfoui dans la terre et la boue
orquienne.
J'ai dressé mes antennes vers le ciel, au-dessus de mes
capteurs,
et j'émets. J'émets sans cesse le récit de notre
trajectoire
qui s'est terminée ici. Peut-être es-tu quelqu'un, quelque
part, au-dessus du ciel d'Orque, qui, une fois, me recevra...
Le lendemain du retour d'Amisix, - Amisix devenue le tombeau de mes
deux amis (Yvan et Virginie étaient mes amis) - deux bataillons
sont arrivés, des bleus et des jaunes ensemble. Ils se sont mis
en position. Ils ont pointé leurs canons. Ils ont tiré.
Nos
défenses sophistiquées sont restées totalement
inefficaces
face à leur armement désuet: Dauphine a été
immédiatement détruit. Il aura suffi de quelques tirs
bien
ajustés, sur cette cible immobile et ouverte, béante.
Sans
Virginie ni Paul, je ne suis pas armé.
Le vaisseau anéanti, réduit en poussière et en
débris de tôle, il ne reste que moi. J'ai
résisté,
parce que l'on m'a conçu pour. Et pour mon malheur aussi: je ne
suis plus que cette boîte noire, inutile témoin d'une
expédition
désastreuse, et qu'on aura passé, là-bas, au bilan
des pertes et profits.
Au début, des patrouilles orquiennes se sont relayées
ici, probablement pour surveiller. En les écoutant, j'ai pu me
faire
une idée de ce qui devait se passer ailleurs sur la
planète.
Le temps qu'a duré l'alliance des Auouaques et des Lououques,
quelques
mois seulement, a été une période de grande
instabilité:
pillage, rapine et surtout, désorganisation complète de
leur
économie avec même une menace de famine. Alors leur guerre
a repris et tout est rentré dans l'ordre... Comme avant, comme
si
rien ne s'était passé... La vraie menace, cela avait
été
nous. Mais maintenant tout est de nouveau comme avant... A l'exception
de cette boîte noir qui raconte sans cesse son récit vers
le ciel, vers, peut-être, un auditeur inconnu. Cette boîte
noire qui, quelquefois, sur cette butte désolée, eh oui,
quelquefois, pleure.
[Tango]