360°, N° 2011, Julien Burri, février 2011

 


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Olivier Sillig et Narcisse

                  L’éponge et l’éphèbe

 

Chaque mois, Julien Burri, journaliste et écrivain, invite une personnalité à se pencher sur son image et celle de l'alter ego qu'elle s'est choisi pour l'occasion. Portrait au miroir. Photo : Carine Roth

Fac-similéEcrivain, dessinateur, cinéaste, fabriquant de bateaux en boîtes de conserve... Olivier Sillig, 60 ans, est un bricoleur hors pair, un artisan, dans le meilleur sens du terme. Père de deux filles de 30 et 32 ans, il a décidé de «devenir» gay de 1999 à 2005 pour «vivre une seconde adolescence».

Il a découvert les soirées du Trixx et ses garçons. Depuis, les filles le draguent davantage, attirées par l'homme «impossible». Olivier Sillig balance entre amants et maîtresses, s'interroge sur les différences entre les sex

es: relation plus physique avec les mâles, plus sensuelle avec les filles. Là encore, il bricole avec les identités et les désirs, sans tabous.

 

Panne de journaliste

II m'a reçu chez lui, dans son appartement lausannois, dont il a conçu les meubles et la décoration. C'était peu avant Noël et j'ai recueilli deux heures d'interview sur deux enregistreurs (on n'est jamais trop prudent), avant de déguster un goûteux plat de pâtes. En voulant réécouter les bandes plus tard, il m'est arrivé le pire cauchemar que puisse vivre un journaliste: plus de Sillig. Ni sur le premier enregistreur, ni sur le second. Commentaire de l'intéressé par courriel: «C'est comme l'histoire du type qui mettait deux préservatifs.» Puis: «La mémoire reste la meilleur des mémoires.»

 

Narcisse manqué

Problème: je ne me souviens plus pourquoi Olivier Sillig avait choisi Narcisse comme alter-ego. Psychologue clinicien diplômé depuis 1978, l'écrivain regarde aujourd'hui la discipline avec défiance. Aucune psychologie dans ses romans. Il m'avait envoyé une photographie de Gustave Courtois (1853-1923) montrant un éphèbe, penché sur l'eau, plongé dans la contemplation de son reflet. Une image qui rappelle les photos du Baron Wilhelm Von Gloeden (une jeunesse rurale à peine pubère déshabillée par un aristo esthète sous couvert de mythologie). Olivier Sillig n'a pas de problème à se regarder dans un miroir. Ni n'entretient de fascination particulière pour son reflet. En fait, il se trouve très peu narcissique. Cela en devient presque une maladie. Il veut mettre en avant ses créations, pas lui. S'effacer. Narcisse serait donc un anti-alter-ego? Hélas la réponse était sur les bandes, perdue à tout jamais!

Fac-similéArchitecte de l'imaginaire

Souvent, les personnages principaux des récits d'Olivier Sillig sont des décors. Ce fils d'architecte excelle à créer des lieux fantasmagoriques qui mettent les corps sous tension. Des no man's land hantés, où la mémoire se perd. Prenez Je dis tue à tous ceux que j'aime, publié chez l'éditeur gay H&O. C'est une ville qui sous-tend le récit, une ville qui s'efface et piège progressivement les deux héros, deux hommes qui se cherchent et se désirent. Ou son premier livre, Bzjeurd, qu'il a mis sept ans à publier (sollicitant quelques 60 éditeurs avant d'être retenu par l'Atalante en 1995, puis republié dans la prestigieuse collection  Folio  SF  de  Gallimard): les personnages se perdent dans une lande mouvante qui les absorbe peu à peu et finit par hanter leur esprit. Ses meilleures histoires sont quasi topographiques. Ce sont aussi les plus sombres, les plus dépouillées.

 

Touche à tout de génie

Après la psychologie, Olivier Sillig a été informaticien. Il vit de «quelques droits, de ses économies et d'expédients très avouables». Il vient de terminer un film d'animation, Tiens-toi bien! et ne sait pas quels seront ses projets artistiques pour 2011. Dans son appartement-atelier, il confectionne des meubles qu'il vend, inspiré des stations services de l'ex-RDA. Sa prolixité donne le vertige aux éditeurs: scénarios de western burlesque ou de BD, poèmes, contes érotiques, romans historiques ou de SF, pièces de théâtre ou chansons... Il ne se reconnaît dans aucune catégorie. Il est «sponge». «Sponge», comme une éponge. Il ingurgite et dégurgite ce qui l'entoure. Organique, donc. Travaillé par les corps et le désir.

Il a voyagé aussi. Autour de sa chambre puis en chair et en os. Lui qui voulait tant aller au Caire, a fait un lapsus en remplissant un questionnaire pour participer à une résidence d'artiste de Pro Helvetia. Résultat: il a finit à Johannesburg. Le Caire, ce sera pour plus tard. Lui qui avait filmé l'Afrique sans y avoir mis les pieds a découvert un continent qu'il connaissait déjà. Umbo et Samuel, 17 minutes en français et en wolof. L'histoire d'un enfant, Samuel, enfermé dans une prison africaine avec Umbo, le Wolof. Samuel doit convaincre Umbo de l'aider à se hisser jusqu'à la fenêtre de la cellule, pour qu'il puisse s'échapper. Mais Umbo ne veut pas rester seul... Contre toute attente, ce film a été tourné à Lausanne. Ce foisonnement créatif n'est pas que joyeux. Une pointe de tristesse affleure, «congénitale», paraît-il. Pourtant le créateur ne se laisse pas désarçonner par ses échecs. S'il décide de ne pas diffuser un film «raté» et de le laisser dormir dans sa boîte, il est «plutôt fier» d'en avoir conscience et de l'assumer. Les affres du métier (chercher à chaque fois un nouvel éditeur, attendre, - il a mis 16 ans à publier le roman historique Deux Bons Bougres) le fatigue mais le stimule en même temps. Sur son site internet, on peut lire: «Le chemin est caillouteux. Heureusement, il est aussi imprévisible et sinueux. C'est ce qui rend le rend amusant.»

Février 2011 – 360°

 

Fiche signalétique

Livre de chevet > Un caprice de la nature, de Nadine Gordimer

Film fétiche > Soleil trompeur, du russe Nikita Mikhalkov.

Collection > «Aucune, jamais!»

Un lieu > Houat, une île de Bretagne où il s'est isolé pour écrire Je dis tue à tous ceux que j'aime.

Une phrase > «Me botte ce qu'il y a dans ta culotte, c'est avec ton cul que je prends mon pied.» Olivier Sillig note des aphorismes ou des phrases glanées ça et là en signature de ses courriels. Celui-ci est daté de juillet 2009 et signé «Le cordonnier déchaussé». On peut en lire un florilège sur son site: www.oliviersillig.ch

 


Olivier Sillig / info@oliviersillig.ch / (21) 320 33 22



 
 











V: 02.03.2011 (02.03.2011)