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Olivier Sillig 

La Manière noire*
Illustration: Olivier Sillig: Croquis au stylo, 2003              . Croquis au stylo, 2003

La lumière tombait d’une lucarne, une découpe assez nette et rectangulaire, mais effrangée et poussiéreuse. Je pouvais voir ses dents sous l’amorce d’un sourire immobile, la sclérotique de ses yeux interrompue par une lune noire, l’ivoire de ses joues moites et glabres et la grosse étoffe blanche de son col ouvert.
Il se tenait appuyé contre un cheval d’arçon dont la course avait été bloquée par la pente intérieure du toit. Il m’observait. Quand je me suis approché, son regard est resté accroché au mien, aussi quand j’ai avancé la main vers lui, quand mes doigts ont touché sa joue, douce mais froide, quand j’ai déboutonné un rang de sa chemise. Mon majeur a rencontré son mamelon saillant et dur comme l’acier chauffé d’un roulement à bille, ma main a glissé le long de son flanc et s’est arrêtée assez haut sur sa hanche. Lui, il a posé son avant-bras libre sur le cuir percé du vieil agrès abandonné, ce qui lui a fait avancer le thorax et rentrer le bassin. Il a eu un mouvement de l’épaule droite pour libérer un pan de sa chemise, je l’ai aidé, en en dégrafant les derniers boutons puis sa ceinture et sa braguette. De la toile écrue de son pantalon dépassait le haut de son slip, en jersey cannelé verticalement, des mailles serrées. Et, du haut du slip, le sommet de sa verge que j’ai pris entre mon index et mon pouce et que j’ai caressé.
Il s’est secoué, il a arraché sa chemise et remué les hanches pour m’inviter à lui retirer son pantalon, et son caleçon ; ils sont restés en accordéon sur ses mollets. Il s’est retourné et s’est allongé sur le cylindre bourrelé et crevé de l’engin de gymnastique et il a contracté puis relâché plusieurs fois ses fesses pâles, fermes, minces et musclées. Il a tourné la tête vers moi en écoutant tomber les habits dont je me défaisais. Il s’est reculé un peu plus, écarté, ouvert, et je l’ai pénétré. Il a gémit, de douleur et de plaisir au passage brûlant de mon gland, et nous avons bougé avec violence. Sa nuque presque diaphane était parsemée de tache de rousseurs effacées, avec un grain de beauté, petit, ovale et sombre. Du revers de la main j’essuyais la sueur qui perlait sur ses épaules. C’est lui qui imposait le rythme. J’ai saisi son sexe, je le serrais très fort.
Il a eu un geste étrange vers son propre visage, comme si le plaisir imminent l’aveuglait, puis, tout en restant actif et impétueux, sa main est redescendue, a attrapé la mienne qui se cramponnait à l’arçon et y a introduit quelque chose alors qu’il commençait à râler, et moi avec lui. J’avais dans la main un objet dur et rond, j’ai ouvert la paume pour voir. Protégée par mes doigts comme un écrin, comme une orbite, il y avait son oeil de verre, qui nous regardait jouir.

Paru dans le Persil No 4, mai 2005

*: La manière noire ou mezzo-tinto est à l'origine destinée à rendre les effets de la peinture. La plaque de cuivre est criblée de petits trous à l'aide d'un berceau, sorte de lame arrondie striée, montée sur poignée. Le côté rond et hérissé de pointes est promené sur toute la plaque par un mouvement de poignet ; on berce en long, en large et diagonale. La perforation alors obtenue donne au tirage une surface uniformément noire. Puis le graveur gratte, écrase ces petits creux avec un grattoir et un brunissoir pour retrouver des surfaces plus ou moins planes. L'encre est plus ou moins retenue. Ce procédé permet d'obtenir toutes les nuances de demi-teintes jusqu'au noir le plus profond. (C.f. http://www.groensteen.net/manierenoire.php.)

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V:24.02.09 <Master en .doc>  Version Persil, "Bataille en combles",  2005  (10.12.03) s: lgbt