Le Temps du  samedi 29 août 2015


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roman samedi 29 août 2015

«Jiminy Cricket» ou l’histoire d’un garçon doué pour l’amour

Olivier Sillig signe la chronique très réussie d’un été meurtrier. En 1975, dans l’Aveyron, une communauté installée dans un hameau en ruine vit dans l’harmonie, envoûtée par la grâce et les charmes d’un adolescent

 

Par Lisbeth Koutchoumoff


C’est l’histoire d’un envoûtement. Ils existent ces êtres, qui, tels des dieux grecs ou hindous, subjuguent les hommes et les femmes, de tous âges, de tous milieux, qui croisent leur chemin. A quoi tient la puissance de leur charme? A leur voix, cette arme des sirènes et des mages? A leur regard? A leur façon, indéfinissable, d’aller vers les autres, d’être, en fait? Dans les contes et dans la vie, ces histoires finissent mal, en général.

Dans Jiminy Cricket, son dixième roman, Olivier Sillig distille vite les indices du drame à venir. Comme face aux pierres blanches du Petit Poucet, le lecteur suit, avide de savoir comment l’enchantement va virer au cauchemar.

Au milieu des années 1970, au cœur de l’Aveyron, des hommes, des femmes aiment, ensemble, un jeune homme, peau laiteuse et cheveux roux. En retour, Jiminy prodigue son amour à toutes et tous, sans compter. L’atmosphère est nimbée d’une douceur surréelle. Jiminy irradie. Hommes et femmes succombent. L’époque est à l’utopie, à la vie hors des cadres. Dans les ruines d’un hameau abandonné, ils essayent autre chose.

L’une des forces du livre est de mettre en parallèle l’envoûtement des personnages et celui du lecteur. C’est un narrateur, John, un Anglais qui sillonne la France à bord d’un minibus, qui relate ce qui s’est passé. Il a aimé Jiminy, comme les autres, c’est même lui qui lui a trouvé ce surnom, immédiatement adopté par tous. Témoin direct, John parle à la première personne. Il sait ce qui est arrivé. Le lecteur veut savoir.

Avec maîtrise, Olivier Sillig déploie les charmes de la narration. La première apparition de Jiminy est particulièrement réussie. La scène recèle une charge de mystère irrésistible. Tel un elfe, l’adolescent surgit sans crier gare aux côtés de John en train de pousser sa camionnette tombée en panne sur la route. On pense immédiatement à la panne de l’avion dans Le Petit Prince. On retrouve cette même étrangeté dans l’air et dans les mots. Cette même assurance silencieuse chez Jiminy et chez le personnage de Saint-Exupéry.

Le lecteur, par les yeux quelque peu ébahis de John, découvre ensuite le fonctionnement de la communauté qui s’est constituée autour de Jiminy. La force et l’ambivalence du pouvoir du jeune homme. Son emprise sur chacun et chacune. Là aussi, Olivier Sillig parvient à placer le lecteur sous une même emprise. Le récit est conduit de façon à donner l’impression que c’est bien Jiminy qui mène et le bal et l’histoire en train de s’écrire. Quand Jiminy entre en scène, nul ne peut dire ce qu’il fera ou dira. L’écriture suspend son souffle. Jiminy déambule, caresse des nuques, se glisse dans les chambres.

Autre réussite du livre: les scènes d’amour justement, ou plus précisément les prémices, ces moments où le désir modifie l’écoulement du temps, la couleur de l’air. Et où les corps semblent mus par quelque chose qui les dépasse. Envoûtements, là encore.

Mais le charme va se rompre. Les tensions du drame occuperont petit à petit l’espace. Conscient d’avoir vécu une de ces emprises que la lecture peut offrir, on referme Jiminy Cricket en gardant vifs des regards, une atmosphère, un hameau abandonné où un jeune homme a aimé et s’est perdu. Une démonstration de la force du récit.

Olivier Sillig est au Livre sur les quais à Morges (4, 5 et 6 sept.).

 

© Le Temps 2015

 

      

V:21.12.2017 (21.12.2017)