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Olivier Sillig 

La culotte
Illustration: Olivier Sillig: crayons, 1989                                                                                    .O.Sillig 89
— Ta culotte ! Quand je l'ai vue ! Comme tu l'as mise ! Harmonieusement disposée sur la table avec ton petit mot griffonné !
— Salope ! que tu m'as dit. Et tu sais que ça, j'aime pas ! J'ai claqué la porte de la chambre ! Mais j'avais encore la main sur la poignée que j'ai eu cette idée. Ça m'a tout de suite calmée. Enfin, calmée…
— Quand j'ai entendu que tu descendais l'escalier, je me suis levé, mais sans me presser. À propos, quand tu sors, ferme la porte, je n'aime pas spécialement que madame Taviani me voie à poil ! Je suis tombé sur ton mot : « Suis partie faire un tour, à tout à l'heure mon chou » et j'ai vu la culotte. J'en étais baba. Salope !
— Tu recommences ?
— Non, c'est ce que j'ai dit en devinant ton petit jeu ! J'ai sauté dans mes habits et dégringolé en bas les escaliers. Mais à la porte, je me suis retenu. Je ne voulais pas que tu voies que j'avais si vite mordu à l'hameçon. Je me suis faufilé dans la rue. Je ne t'ai pas tout de suite repérée, avec ta minijupe, salope !
— Eh !
— C'est ce que j'ai dit en voyant jusqu'où tu poussais. Il y a longtemps que la mode des minis est passée. Normalement déjà, tous les mecs se retournent quand tu la mets, et déjà là, j'aime pas ça, tu le sais bien. Alors cette fois !
— À chaque pas je sentais un peu de frais, comme le vent sur la transpiration. J'avais l'impression que la bise venait me caresser. J'avais envie de plaquer ma jupe avec mes mains, mais j'aurais eu l'air trop conne.
— Et tu louchais dans chaque vitrine. Pas uniquement pour voir si je te suivais, mais aussi pour t'assurer qu'il ne prenait pas la fantaisie à tes petites fesses de guigner par-dessous leur panier. À la bouche de métro, la rambarde se prolonge et entoure la cage d'escalier. Et bien, comme pour étudier le plan du réseau, tu t'es assise sur le cuivre de la main-courante et j'ai bien vu que ta jupette passait par-dessus, directement le poil sur le métal !
— Je sentais ma chair de poule sur le laiton glacé qui portant n'arrivait pas à rafraîchir ma chatte en feu. Il y avait plein de monde qui sortait du métro. Eh bien, je t'assure, c'est comme si je sentais chacune des mains utilisant la main courante pour monter l'escalier. Chacune était comme une caresse inconnue que me transmettaient les vibrations de la rampe. J'avais beau savoir que le mur de la cage était en pleine pierre, j'avais l'impression que chaque type qui grimpait pouvait me voir d'en bas. C’était comme si j'étais une cariatide soutenant la rambarde. Et je t'ai enfin aperçu ! Je me suis aussitôt engouffrée dans la bouche du métro.
— Avant de t'y suivre, en faisant mine de rattacher mon lacet, je me suis baissé sur la rampe, Le métal était encore chaud, dans une auréole de buée j'ai repéré ton parfum. Et, quand tu es montée dans la rame...
— Et moi qui ne te voyais pas ! Panique ! Ah non, tu n'allais pas me laisser seule dans ce maudit métro, avec tous ces cochons, pauvre petite, toute désarmée et à moitié nue que j’étais !
— Tu t'es postée à une extrémité, alors j'ai décidé de marquer un point. J'ai attendu le dernier moment, puis je me suis glissé le long des voitures et j'ai enfin sauté, mais dans la voiture contiguë à la tienne. Là, je t'ai sacrément eue ! J'ai joué des coudes jusqu'à la fenêtre avant. Tu roulais des yeux, tu me cherchais, inquiète. Tu ne m'as pas vu tout de suite. Et quand tu m'as repéré, tu m'as... tu m'as tourné le dos ! En fait, c'était plutôt gentil, c'était plus piquant pour moi de te voir comme ça, surtout à travers deux vitres ! Souvent des jambes de pantalons venaient masquer tes cuisses. Je les voyais bien, tous ces cochons qui faisaient exprès de te frôler en sortant.
— De savoir que tu me regardais depuis l'autre voiture, imagine un peu! Ma jupe me faisait comme un abat-jour sur une ampoule trop puissante, il aurait pu y prendre feu. J'avais peur que les gens commencent à remarquer les petites gouttes que je sentais dégouliner le long de la paroi intérieure de mes cuisses, sur ce que tu appelles ma peau de chamois. Mais quand un type voulait sortir, je faisais exprès de ne pas me tirer ! Un point pour moi, espèce de gros béluga dans ton stupide aquarium !
— À coté de moi il y avait un tout jeune mec. J'ai bien vu qu'il te dévorait des yeux. J'ai d'abord eu envie de le bousculer, de lui crier : « Eh dis ! Ca ne va pas de regarder comme ça ma femme ! C'est ma femme ! » Mais j'ai vu que tu nous surveillais. Alors, avec de grands gestes pour que tu comprennes bien tout, je lui ai dit : « Et je parie que la salope n'a même pas de culotte ! » Plein d'admiration, il s'est écrié : « La cochonne! » Encore un point pour moi ! Mais là, tu t'es carrément retournée et tu lui as souri. Le salaud, son jeans le serrait, j'étais fou !
— Je l'ai regardé pour qu'il comprenne bien que j'allais descendre à la prochaine station et que je le comptais sur lui. Et je suis descendue. Lui aussi. Et alors là, zut ! J'ai vu que tu n'avais pas bougé et compris que tu ne bougerais pas. Tu faisais mine de regarder les publicités comme si rien d'autre ne pouvait t'intéresser. Tu savais bien que jamais je ne voudrais me retrouver stupidement seule sur le quai avec ce lourdaud, sans métro, sans toi, et sans culotte ! Alors j'ai marché sur lui énergiquement, il s'est écarté, surpris. Il s'apprêtait à me suivre. Quand il m'a vu monter dans la voiture et me coller contre toi, on aurait dit qu'il venait d'avaler tout rond un œuf dur tout entier ; il est peut-être toujours sur le quai, changé en statue de sel ! Et puis là, tout contre toi, je n'ai plus vu que toi. Plus que ton pantalon tendu à craquer, juste contre ma jupe. Et je n'ai eu plus qu'une seule hâte, être à la maison avec toi ! J'ai quand même repéré cette grosse femme, celle avec tous ses cabas, qui regardait la même chose que moi, Elle nous aurait très volontiers accompagnés ici.
— Moi, je me cramponnais à la barre pour ne pas nous consommer sur place ! T'aurais vu ça, en plein métro !
— Ce fut vraiment un très bon samedi après-midi.
— Très bon. Je crois que ça va durer. Que toi et moi, my love, ça va durer. Quand rien que se disputer ne suffit pas à stimuler nos plaisirs, nos émotions et notre amour, toi, mon amour, tu sais toujours trouver quelques petites nouveautés, quelque chose d’imprévu. Comme ta culotte. Dans quelques années, quand tu ne pourras plus te promener ainsi, nue sous une minijupe, je suis sûr, je sais, que tu inventeras autre chose. Même pour finir, quand tu n’auras plus qu’un ridicule chignon tout blanc, des seins maigres et vides, et que nous mettrons à baigner dans le même verre nos dentiers embrassés, avec nos vieux cerveaux tout rabougris, je sais, je sais, mon amour, que tu auras encore de ces étincelles de folie, de ces étincelles qui font que je t'aime, que je t'aime pour toujours, que je t'aime, idiote, que je t’aime.

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Master: R04_Drapier
V:11.12.07 (11.12.07-15.05.1984)