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Olivier Sillig

Sancho et l'omnibus

Deux jours tu m'as regardé, je t'ai regardée, maintes fois nous nous sommes regardés. Enfin, aux dernières heures, approchés, effleurés. Un instant j'ai oublié ma peur. Tu étais là, à côté de moi. Tu venais de me dire que tu n'étais pas une princesse – il n'y a que mon Don Quichotte qui pourchasse ou fuit les princesses –, que tu avais même été courtisane – ton fils de sept ans était là avec toi.

Mais ce n’est pas mon scrotum qui s’est alors racorni ; c'est, tout soudain, mon cerveau. Comme les ailes des moulins à vent de mon maître balaient de leur ombre la tour qui les porte, est passé en ce cerveau, en écran, le souvenir de ce vagabond superbe et torse nu qui s'est assis ce matin près de moi. Chaque fois qu'il bougeait un peu, le parfum de ses épaules musquées venait embaumer mes narines. Tous deux nous débarquions d'ailleurs, nous ne parlions pas la même langue. Pour augmenter son confort, je lui ai suggéré de glisser ses longues jambes à travers la rambarde du bateau. J'ai posé ma main sur une de ses cuisses, juste pour lui demander comment on les appelait chez lui. Puis sur son bras. Et ça, c’est quoi ? J'ai eu envie de toucher son tétin, petit, noir, très dur, et d'y laisser mes doigts, mais je n'ai pas osé. Il est reparti. De son côté.

Comme l’aile du moulin, le souvenir s’est un peu éloigné, je suis revenu à toi, un instant, mais pressé de m’enfuir. Te trahir, me trahir, encore une fois, désolé pour toi, désolé pour moi. J’ai regardé le soleil, feignant d'estimer l'heure. J’ai balbutié quelques mots. Je dois rejoindre mon maître, je dois prendre l'omnibus. Et je me suis enfui. Je l’ai rejoint dans ses moulins à vent. Je t'ai laissée en rade. Pourtant, sans rancune, tu m'avais tendu la main et tendrement salué. Ciao Sancho ! À moi qui déjà n'avais pas retenu ton nom.

En rappel, m'a poursuivi la naissance de tes seins. Et ton regard, doux, tendre, réconfortant. Les deux, tes seins, ton regard. Et toi ? peut-être, la blessure de mes yeux, rares malgré ma panse.

 Alter de Chão janvier 2013, Lausanne avril 2013

 

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slamé par CinqCentDouze le 01.05.2013
2.05.13 – 2.05.2013